Français   Deutsch     Italiano  Español  Nederlands

Franz Stark : Sprache als Instrument der Außenpolitik (La langue en tant qu'instrument de la politique étrangère)*

L'auteur est enseignant aux universités de Munich et de Passau (Bavière) et animateur de télévision. Il a en outre créé un site Internet (www.br-online.de/bildung/deutsch2000) sur lequel on peut trouver des statistiques diverses concernant la situation de la langue allemande.

Ce texte d'une trentaine de pages, présenté pour la première fois lors d'un congrès du Verein deutsche Sprache à Hanovre en septembre 1999, est important à plusieurs titres : Tout d'abord, il permet de comprendre pourquoi la langue allemande, très répandue dans les pays de l'Est voici encore peu de temps et totalement supplantée aujourd'hui par l'anglais, n'a jamais pris l'importance qu'on attendait après la chute du Rideau de fer. Apportant de nombreuses preuves, Stark dénonce les ambiguïtés d'une Communauté européenne prétendument plurilingue tout en rappelant qu'il existe d'autres institutions européennes supranationales (Télévision, sport…) qui ont également une politique linguistique et une influence certaine.

Fait rare pour un texte d'Outre-Rhin: en dénonçant l'impérialisme linguistique anglo-américain, l'analyse de Stark est proche de celle de beaucoup de linguistes et responsables français et internationaux -à ceci près que le " néocolonialisme français ", co-re sponsable selon lui de la quasi-disparition de l'allemand dans beaucoup d'instances européennes, ne lui inspire guère plus de sympathie. Le fait est néanmoins important dans un pays où une grande partie de l'opinion publique se complaît dans une adhésion béate à l'Amérique et a tendance à considérer la France comme le seul empêcheur de tourner en rond en matière de langue. Ce texte peut être précieux lors de débats avec des participants venus de pays différents, prouvant que les défenseurs de la langue française ne sont pas seuls à analyser la situation comme ils le font.

Par ailleurs, le travail de F. Stark permet de mieux appréhender l'attitude allemande en matière de langue ce qui est important pour pouvoir défendre le français et le pluralisme linguistique : les opinions étrangères déteindront sur les Français voyageant à l'étranger ce qui, à une époque d'échanges internationaux intensifiés, aura de plus en plus de conséquences sur l'opinion française.

Finalement, l'on peut se demander si la description de la situation allemande des années 60/70 n'est pas en même temps celle de la situation française d'aujourd'hui. Peut-être ces chapitres-là sont-ils les plus importants de ce texte et devraient occuper une grande place dans notre réflexion stratégique.

Ci-après un résumé des chapitres et des faits les plus importants cités dans ce texte qui aborde, entre autres, la politique linguistique de la Communauté européenne et d'autres instances supranationales, de la France, des pays anglo-saxons, de l'Allemagne (ou plutôt de son absence de politique linguistique) ou encore la place et la politique linguistique dans l'Histoire. Bien sûr, j'enverrai avec plaisir une copie complète de ce texte (en allemand) à qui me le demandera.

Introduction : Au début de son texte, Franz Stark évoque un incident diplomatique de l'été 1998 entre la Finlande et le chancelier allemand Gerhard Schroeder.Le pays scandinave, présidant l'Union européenne, avait refusé de respecter le régime trilingue en cours, excluant la langue allemande. Monsieur Schroeder décida alors de boycotter les réunions de l'Union européenne ce qui lui valut d'âpres critiques de la part d'une grande partie de l'opinion publique de son propre pays : L'Europe aurait vraiment d'autres problèmes à régler que celui de la langue allemande. Stark observe alors que, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d'autres pays, la société allemande tout comme les dirigeants politiques se désintéressent de leur langue. De même, les germanistes, linguistes ou socio-linguistes, à très peu d'exceptions près, préfèrent s'interroger sur le fonctionnenement à l'intérieur d'une communauté linguistique (la langue en tant qu' instrument du pouvoir, de la manipulation, de la domination sociale etc.), perdant de vue le rôle de la langue dans le domaine de la politique étrangère ou des conflits économiques et politiques entre Etats. Stark démontre ensuite combien cette attitude est isolée et néfaste pour la langue allemande et que presque tous les pays et institutions internationales ont leur politique des langues.

Chapitres suivants : L'allemand indésirable. La politique linguistique de la France. La politique linguistique des pays anglo-saxons. L'imposition de l'anglais en Europe de l'Est. (Unerwünschtes Deutsch. Französische Sprachverbreitungspolitik. Angelsächsische Sprachverbreitungspolitik. Englisch-Verbreitung in Osteuropa) Je me contenterai de citer les faits les plus intéressants : Avant les événements de 1989/1990, l'allemand était la langue la plus répandue à l'Est du Rideau de fer. Ces pays, croyant disposer ainsi d'un bon instrument de communication avec la Communauté européenne -l'allemand était et est langue officielle de travail - furent rapidement détrompés par Bruxelles qui n'acceptait de communiquer qu'en anglais ou en français. D'après de nombreux témoignages de fonctionnaires allemands travaillant à Bruxelles, il leur était interdit par leurs supérieurs de travailler dans leur langue maternelle, même lorsque des interlocuteurs en faisaient expressément la demande. De même, quand Bruxelles créait des postes dans le cadre de ses relations avec les pays de l'ancien Comecon, seules des connaissances en anglais et en français furent requises, sans que soit tenu compte des besoins réels et des connaissances linguistiques existantes dans ces pays. La Commission européenne n'est pas la seule institution supranationale à avoir (eu) une politique linguistique. Un exemple moins connu mais très important est l'Union européenne des Radios (UER) dont le siège se trouve à Genève et qui est responsable, par exemple, des émissions d' "eurovision ". Ses langues de travail officielles sont le français et l'anglais : que l'allemand ne fût pas retenu au moment de sa création, en 1950, peu après la chute du 3° Reich, n'est pas surprenant. Par contre, à " Intervision ", pendant communiste de l'UER, les langues de travail étaient l'allemand et le russe. Lorsque l'UER et l'Intervision fusionnèrent au début des années 90, le maintien de l'allemand en tant que langue de travail aurait été très utile. Or, il n'en fut rien : dans les relations internationales, l'on exigea des journalistes de tous les pays de l'Est de ne travailler qu'en anglais, avec des conséquences parfois à la limite de l'absurde. La création d'une radio au Kosovo où la langue allemande était mieux représentée que l'anglais -de très nombreux Kosovars avaient travaillé en Allemagne- fut confié à un allemand qui, en raison des accords UER/Intervision ne put embaucher que des rédacteurs et techniciens parlant anglais. Diffusés en albanais, tous les textes, commentaires, reportages etc. devaient au préalable être enregistrés en anglais ! En 1973, date de l'adhésion de la Grande Bretagne à l'Union européenne, estimant que le problème des langues était le plus important de l'époque, le Président Pompidou mettait en garde contre une trop forte prédominance de l'anglais qu'il considérait comme une menace vitale pour la France. Cependant, Stark trouve l'alternative - une prédominance du français que la la France aurait recherchée depuis la fin de la Guerre 39/45- aussi indigeste et se gausse en outre de sa " mission civilisatrice autoproclamée " En ce qui concerne les pays anglo-saxons et particulièrement la Grande Bretagne, leurs objectifs seraient les mêmes que ceux de la France, la seule différence étant que la France proclame haut et fort ce que les anglo-saxons pratiquent avec une discrétion imbattable (C'est peut-être ce qui leur a permis de prendre l' avantage dans l'opinion des pays nordiques par rapport à la France, note de LS). Tout aussi conscients que la France de l'enjeu d'une politique linguistique, celle-ci devient de plus en plus agressive, avec un premier point d'orgue vers 1960, au moment de la décolonialisation. Lors de la création des systèmes éducatifs dans les anciennes colonies, fonctionnaires, enseignants et chercheurs ont tout fait pour que la technologie moderne et les sciences ne soient accessibles qu'en anglais. Il y eut également une propagande active suggérant que les valeurs intrinsèques de la langue anglaise la rendent seule apte à appréhender le monde moderne. La grande Bretagne et les USA, comme l'écrit Stark, " idéologisent " leur langue (" ideologisieren ihre Sprache "). A la chute du Rideau de fer, la Grande-Bretagne reconnut immédiatement les énormes avantages qu'elle pouvait tirer des événements. Le gouvernement britannique créa un " East European Partnership " avec la mission de bien implanter l'anglais dans les pays baltes. Dès 1987, le British Council avait estimé que la vraie richesse de la Grande Bretagne n'était pas le pétrole de la Mer du Nord, mais sa langue : " Britain's real black gold is not North Sea oil but the English language. " Pour atteindre ses objectifs, la Grande Bretagne s'appuie très largement sur les organisations internationales.

Chapitres suivants : La politique linguistique au cours de l'Histoire….Les effets de la langue utilisée comme moyen de la politique étrangère. Idéaux et réalité en politique étrangère. La politique linguistique de l'Allemagne dans la compétition internationale. (Sprachenpolitik im Lauf der Geschichte…. Die Wirkung der Sprache als außenpolitisches Element. Ideale und Realität der Außenpolitik. Deutsche Sprachenpolitik in der Konkurrenzsituation) De tout temps, les pays politiquement puissants ont tenté de s'assurer des avantages en imposant leur langue. Même sans disposer d'enquêtes scientifiques sur la question, il n'est pas difficile de voir pourquoi : d' innombrables avantages dans la compétition économique ou scientifique résultent d'une position privilégiée voire exclusive de la langue, sans parler de l'impact psychologique sur la population qui voit croître son prestige et ses habitudes et manières d'être devenir une norme internationale.

Historiquement et jusque dans la deuxième moitié du 20° siècle, l'idée prédominante qu'on se faisait de la politique étrangère était que des Etats souverains, en concurrence avec d'autres, poursuivent leurs intérêts nationaux. A cette conception appelée " réaliste " s'oppose le modèle " intégrationniste " dont les origines remontent jusqu'au 18° siècle et au philosophe Emmanuel Kant. Pour éviter les inconvénients nombreux du modèle précédent (conflits….), on crée des structures supranationales (Société des Nations …..) qui réduisent l'influence des Etats et des égoïsmes nationaux. Que ce deuxième modèle soit plus adapté aux problèmes du monde moderne et moralement supérieur est évident. La question est cependant de savoir si des Etats puissants acceptent réellement de sacrifier leurs intérêts sur l'autel des organisations supranationales, même s'ils l'affirment officiellement. Dans cette situation, la guerre des langues est précisément l'un des moyens subtils de poursuivre ses propres intérêts à travers des organisations supranationales. Contrairement à ce que l'on pense généralement, l'Allemagne des années 50, nullement complexée, dans le domaine linguistique, par son passé récent, défendait sa langue avec une vigueur étonnante contre une France désireuse de faire du français LA langue européenne. La situation était tout autre depuis la deuxième moitié des années 60. L'on demanda publiquement la fermeture des écoles allemandes à l'étranger. " La politique culturelle ne doit pas être un auxiliaire de la politique étrangère, encore moins d'une politique étrangère qui entend défendre des intérêts nationaux. " écrivait un journaliste allemand dès 1966. L'Allemagne se voulait partie intégrante d'une (future) Europe unie où toute concurrence nationale, illégitime, aurait disparue, où l'école n' enseignerait plus rien d'autre que la culture et l'identité européenne. En 1973, la Grande Bretagne adhérait à l' Union européenne. Alors que le Président Pompidou demandait au Premier Ministre britannique Heath des garanties en matière de langues, le gouvernement allemand ne demandait rien du tout, pis, les fonctionnaires allemands à Bruxelles commençaient à abandonner volontairement leur langue et à utiliser l'anglais, déclarant publiquement renoncer désormais à l'utilisation de la langue allemande alors que celle-ci était langue officielle de travail. Encore en 1980, le directeur du Bureau allemand des Affaires étrangères demandait, dans un texte intitulé " Plaidoyer pour le pragmatisme ", d'accepter que l'anglais et le français soient les seules langues de travail de l'Union européenne. Cette attitude ne devait changer que sous le chancelier Kohl qui se plaignait en 1984 auprès du Président européen G. Thorn de la discrimination de la langue allemande, sans toutefois oser exercer des pressions pour appuyer ses revendications.

Que s'est-il passé ? Alors que le chancelier Adenauer, comme tous les autres chefs d'Etat, pratiquait naturellement et sans se poser de questions une politique étrangère " réaliste ", opinion et dirigeants allemands se sont convertis au modèle " intégrationniste " durant les années 60 sans comprendre que leur bel idéalisme ne fut guère partagé ou pratiqué par les autres pays. (Aujourd'hui, des dirigeants français renoncent au français là où il est langue officielle. Des associations se créent avec pour but d'assurer des cours d'anglais dans des pays adhérant à la francophonie " afin de pouvoir communiquer " avec leurs ressortissants……. L'évolution décrite ci-dessus aurait-elle atteint la France vers la fin des années 90 ? Note de LS). La langue allemande a eu une deuxième grande chance avec la chute du Rideau de fer, nous avons vu ce qu'il en est advenu. Cependant, l'allemand est toujours langue de travail dans plusieurs commissions, et son statut a été défendu efficacement plusieurs fois ces dernières années. Les évolutions décrites ci-dessus sont longues et, espérons-le, pas irréversibles.

Ludger Staubach

* Le texte intégral est publié dans : Die Zukunft der deutschen Sprache. Editions Klett. Leipzig 2000

Présentation de notre association

Informations, Textes et Documents